Compte rendu de la deuxième séance (5 février 2009) - Reverdie

Compte rendu de la deuxième séance (5 février 2009)

vendredi 13 février 2009, par Cécile Le Cornec Rochelois

Le stemma codicum : enjeux et méthodes

Les participants

Michele Bellotti, Elodie de Oliveira, Irène Fabry, Simon Gabay, Mohan Halgrain, Cécile Le Cornec-Rochelois, Alessia Marchiori, Patrick Moran, Fanny Oudin, Anne Rochebouet, Anne Salamon, Fabio Zinelli.

Déroulement de la séance

Introduction par Anne Rochebouet

Après avoir rappelé l’origine de l’expression stemma codicum (du grec stemma, bandelette, couronne, d’où, à Rome, images des ancêtres, ornées de couronnes, d’où tableau généalogique, et du latin codicum, génitif pluriel de codex, manuscrit), Anne Rochebouet définit un stemma codicum comme la représentation graphique des relations entre les différents témoins d’une même œuvre. Les stemma ont été conçus comme des outils pour remonter à un original, éventuellement autographe, ou pour reconstruire un archétype se rapprochant le plus possible de l’original supposé. Anne renvoie aux théories de Lachmann et résume les critiques qui leur ont été adressées. À une recherche systématique des erreurs communes, on a ensuite préféré une réflexion sur les lieux variants d’un manuscrit à l’autre. Les éditeurs qui optent pour la méthode bédiériste en choisissant un manuscrit de base ont eux aussi recours aux stemma puisque le choix du meilleur manuscrit est habituellement déterminé par le stemma. Des critiques portent enfin sur la pratique même du stemma codicum. Dans certains cas, les phénomènes de contamination, la collation de plusieurs manuscrits par les copistes rendent vains les efforts d’élaboration des stemma, au point que certains considèrent qu’il vaut peut-être mieux y renoncer.

Méthode lachmanienne ou bédiériste, stemma ou pas ? Les stemma codicum offrent un sujet de débat toujours d’actualité. Ils donnent d’ailleurs lieu à des pratiques diverses selon les pays. Anne renvoie à ce propos au compte rendu proposé en 2008 par Noémie Chardonnens ("Pratiques philologiques en Europe"), en ligne sur le site. Fabio Zinelli rappelle la spécificité de la tradition italienne, dominée par la figure de Dante. L’image tutélaire de cet auteur crée le besoin de reconstituer un original.

I. Mohan Halgrain, Autour du stemma de l’Isopet de Marie de France

Mohan Halgrain nous propose une réflexion sur les apports du stemma et ses limites en partant d’un exemple qu’il connaît bien. Il s’est en effet intéressé de près à l’édition lachmannienne de l’Isopet de Marie de France, plus connu sous le titre de Fables. Il expose d’abord les méthodes employées par Karl Warnke en 1898 pour reconstituer le stemma sur lequel s’appuie son édition, qui fait toujours autorité. Il montre ensuite les limites de cet imposant travail et propose de nouvelles approches, dans la perspective d’une "rénovation éditoriale" de l’Isopet. Les travaux de Mohan s’appuient sur un classement des lieux variants répertoriés dans les différents témoins de la tradition ; il distingue selon les cas des variantes plus ou moins significatives. Il nous présente les conclusions provisoires de ses travaux, certes plus modestes que celles de Warnke, mais aussi plus sûres.

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Discussion

Patrick Moran demande à Mohan des précisions sur l’organisation du diagramme de Venn qu’il a élaboré à partir des résultats de son enquête. Fabio Zinelli suggère de prendre en compte les relations entre les monastères où ont été copiés les manuscrits afin d’affiner les conclusions. Anne Salamon et Patrick Moran soulèvent la question de l’exploitation des données présentées dans une optique éditoriale. Quel texte choisir, en définitive ? Mohan convient qu’il est indispensable de réintroduire un sens dans la généalogie des manuscrits pour établir une édition critique. L’entreprise est délicate. Il penche pour le moment pour une édition synoptique de trois familles de manuscrits. Il précise en outre que depuis Warnke, un nouveau manuscrit a été découvert à Chantilly. Fabio Zinelli revient sur la qualité scientifique du travail de Warnke, qui reflète une certaine conception de la philologie. Il s’est ainsi fondé sur la proximité plus ou moins marquée des témoins français avec les manuscrits latins pour établir son stemma. Par ailleurs, le choix du manuscrit A, anglo-normand, par l’éditeur allemand se justifiait notamment par l’origine anglo-normande supposée de Marie de France. Anne Rochebouet souligne à son tour l’utilité et l’humilité de l’édition de Warnke, soucieux de donner toutes les variantes.

II. Simon Gabay, Méthodes informatiques et mathématiques applicables à la stemmatologie : l’exemple des Prophéties de Merlin

Simon Gabay s’attaque quant à lui au cas des Prophéties de Merlin et nous expose les premiers résultats d’une enquête menée en collaboration avec Mohan Halgrain. Il évoque d’abord les méthodes néerlandaises de traitement des données par informatique (clustering), en particulier les travaux d’Anthony Dees. Il montre en quoi sa démarche se distingue de l’approche néerlandaise. Il se propose d’exploiter les possibilités offertes par l’ordinateur pour l’analyse d’une quantité accrue de données tout en prenant en compte des critères qualitatifs pour classer les variantes. Trois degrés de fautes sont distingués selon leur caractère plus ou moins significatif.

Discussion

Une discussion animée suit l’intervention de Simon. Anne Rochebouet émet des réserves quant à l’exploitation informatique des données. Elle observe d’abord qu’elle ne permet pas de prendre en compte tout ce qui relève de la dimension matérielle du manuscrit, en particulier les fautes paléographiques. Mohan Halgrain explique que le but n’est pas d’utiliser un logiciel capable de fabriquer automatiquement des stemma. Il est possible par exemple d’attribuer une pondération faible, c’est-à-dire une faible valeur significative, à une faute paléographique. Anne Rochebouet relève un autre inconvénient majeur : il devient vite impossible de vérifier les résultats produits par l’ordinateur. Or le stemma est d’abord une preuve apportée par l’éditeur pour justifier ses choix. Mohan et Simon soulignent qu’il n’est pas question pour eux de mener un projet de philologie informatique, nécessairement voué à l’échec. Ils envisagent l’ordinateur comme un outil chargé d’accomplir un simple tri rébarbatif. Cécile Le Cornec invite Simon à revenir sur le choix des degrés de pondération. En quoi une variante est-elle plus ou moins significative ? Simon résume ses critères en soulignant que leur choix est très personnel. Anne Salamon remarque que les éditeurs de textes latins emploient depuis longtemps la méthode des regroupements pratiquée par Anthony Dees. Anne Rochebouet note enfin que si les stemma ne font pas l’objet d’un enseignement spécifique en France, c’est sans doute parce que la notion d’auteur est reléguée au second plan pour la période médiévale (contrairement, encore une fois, à ce qui se passe notamment dans le pays de Dante).

Cette séance qui a donné lieu à des débats passionnés se clôt par l’annonce de la prochaine séance, le 7 mai 2009. Elle aura pour thème les dialectes et les propositions sont les bienvenues.

D’ici là, les reverdistes auront l’occasion de se réunir à la Maison de la recherche lors de la journée d’étude du samedi 14 mars, "Variance, variantes, variations" (voir le programme).